Gilles Valiquette, l’éternel adolescent sur qui le temps n’a pas d’emprise, l’auteur-compositeur-interprète de la chanson identitaire «Je suis cool» qui a transcendé les générations, rassemble des détails de sa carrière, donne des conseils sur la création de chansons, partage des réflexions sur le milieu musical, dans le volumineux ouvrage Histoires de chansons.
Au cours des ans une caractéristique lui est incontestablement accolée : il est sympathique, dans ses chansons et dans ses revendications. Valiquette fut un précurseur de l’introduction de nouveautés technologiques, sur scène et en studio; il a même fondé le programme d’enseignement collégial Conception sonore assistée par ordinateur et le collège Musitechnic en 1987. Il a aussi présidé la SOCAN, la société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique. Il continue à composer, à chanter, à se consacrer à la promotion et à la défense des créateurs de chansons.
Dans le livre, 101 chansons se suivent dans le même ordre que celui où elles ont été livrées au public : selon la chronologique de leur parution sur disque. Elles sont accompagnées d’anecdotes telle que celle où il rappelle avoir été présenté : Gilles Villeneuve (p.201).
Toutes les paroles ont été calligraphiées par Valiquette ce qui confère un caractère convivial, intimiste, authentique à leur présentation et s’accorde à l’aspect personnel des commentaires et remémorations qui précèdent le texte de chaque chanson.
Son indéfectible passion pour la guitare l’a déterminé très jeune à travailler : pour avoir l’argent nécessaire aux cours et aux partitions, pour acquérir la technique musicale en suivant des cours et en pratiquant. Son apprentissage était influencé par sa fascination pour les Beatles (sa première interprétation a été Yesterday de Paul McCartney) et par tout ce qui constituait l’aspect technique de la composition et de l’interprétation. Il a donc bénéficié de notions de théorie musicale qu’il complétait par l’écoute des succès populaires que son groupe, Someone, jouait dans le quartier.
À 16 ans il enregistrait ses premiers 45 tours et faisait des tournées accumulant satisfactions et déboires.Il a appris «à la dure» certes mais son plaisir reste toujours perceptible à travers les évocations des différentes péripéties. Il a aussi un sens de l’humour qui contribue à sa réputation de travailleur opiniâtre, persistant, acharné, avec entrain malgré les embûches et qui encore aujourd’hui «vise ultimement à créer une chanson chaque jour» (p.36).
Dès les débuts de sa carrière, j’ai apprécié Gilles Valiquette, son observation du quotidien urbain, ses confidences amoureuses, ses tendresses familiales; dans son ouvrage, à la page 332, il affirme :«rien n’est plus précieux qu’être la vedette de ses enfants». La première fois qu’un de mes articles a été publié «à la une» du journal pour lequel je travaillais, c’était un texte relatant un de ses spectacles. Dans son livre, je reconnais la constance de sa participation à l’industrie musicale québécoise francophone en tant que musicien, producteur et chanteur mais aussi en tant que formateur; les passages autobiographiques alternent avec de nombreux avis et encouragements sur l’écriture et sur l’industrie.
Dans ce document de 496 pages, il insère des photos de ses albums, de ses guitares et il glisse des vérités fondamentales sur l’importance pour lui de s’exprimer en français : «un artiste n’est-il pas le reflet de son environnement?» (p.77).
C’est à la fois avec fébrilité et tranquillité qu’il a réalisé ses rêves professionnels : de sa première guitare à son propre studio d’enregistrement et qu’il a vécu des relations marquées par la subtilité, la compréhension et la coopération : «Je crois au travail d’équipe…on ne doit jamais mettre un artiste face à un problème sans proposer en même temps quelques solutions de rechange (p.305) la valeur de mon métier…vient plutôt des personnes qu’on y rencontre» (p.392).
N’est-il pas exceptionnel de croiser et découvrir une personne qui ne dit pas du mal des autres? S’entretenir avec Gilles Valiquette fait partie des bienfaits de la vie d’une journaliste. J’ai eu ce plaisir lors du lancement de son livre. Nous avons d’abord relaté la double élaboration, calligraphique et narrative, de son ouvrage.
Lucie Poirier : Vous avez consacré du temps à cette laborieuse transcription manuscrite de chaque chanson en plus de consigner vos souvenirs et recommandations.
Gilles Valiquette : Les disques et les livres sont des objets spéciaux que j’aime acheter, je voulais donc que mon livre soit spécial, avec une touche personnelle. On ne voit pas ça souvent. Ça parait que ce livre contient des paroles de chansons. C’est de l’effort, du travail, du temps. Je me suis appliqué, je voulais bien faire. Je me levais tôt et je faisais la copie des paroles et un texte sur la chanson à chaque jour. Je suis organisé, je me fixe des échéanciers. C’était la discipline que je m’étais imposée. Ça m’a pris 101 jours. Ajouter un contexte biographique avait du sens, parler des albums aussi. J’ai vendu l’idée de ce livre et j’ai eu à l’écrire. J’ai écrit le journal d’un créateur de chansons. Je voulais témoigner de ce qui se passe derrière la scène. Si d’autres faisaient de tels livres, on aurait une idée de la chanson québécoise depuis ses débuts en 1957 avec Michel Louvain.
L.P. Tout votre livre est traversé par vos observations sur le lien entre la condition d’un artiste et le sort de ses chansons.
G.V. Pour un artiste rien n’est plus précieux que ses chansons. J’ai une passion, c’est les Beatles. Quand on suit le cheminement des chansons : Qui en est devenu propriétaire, leur marchandisation, on comprend pourquoi il y a eu la dissolution du groupe. L’impact de ce qui est fait aux chansons d’un artiste est majeur.
L. P. Depuis des années, vous agissez en souhaitant que les créateurs soient davantage protégés. D’ailleurs, vous écrivez dans votre livre à la page 329 : «on peut aujourd’hui gagner sa vie à conduire un camion qui transporte les disques chez un détaillant alors que les auteurs et compositeurs sans qui ces disques n’auraient jamais vu le jour sont trop souvent laissés pour compte».
G.V. À 20 ans je voulais gagner ma vie en créant des chansons mais il fallait changer le fait que ce n’était pas possible. Quand on crée une chanson, on crée une œuvre de l’esprit, dans le sens le plus noble du terme, une chanson c’est un gros morceau de qui nous sommes et c’est aussi une œuvre universelle. J’ai eu des leçons de vie à travers la musique que j’ai élevées à un niveau universel, ça doit être converti universellement parce que je veux que tout le monde se voit dans mes chansons. La vie sur terre nous apporte des choses qui peuvent compter pour ce qu’on n’a pas vécu. On peut déduire des jalons d’apprentissages.
Une chanson n’est pas seulement un produit sur le marché pour le commerce. Quand on regarde une colonne de chiffres on sait le marketing mais on ne sait rien de l’auteur ni de l’œuvre. Le divertissement depuis la fin des années 70 inclut une foule d’administrateurs, d’avocats, de gérants. Les producteurs sont des utilisateurs et les créateurs doivent s’exprimer, si leurs chansons sont utilisées, ils doivent être rémunérés. La loi du droit d’auteur c’est une entente mais son application est déficiente. Les politiciens vont devoir faire quelque chose, depuis 1996 on n’a pas de tarif pour la musique sur Internet. D’ailleurs, en anglais on parle de copyright, droit de copier, quand on dit droit d’auteur, c’est une fausse appellation. Les conditions actuelles pour les artistes ne sont pas meilleures que lorsque j’ai commencé. Nous, les créateurs, on veut que nos œuvres soient utilisées mais on veut aussi être payés pour cela. Il faut une licence pour faire jouer de la musique que ce soit dans un restaurant, un ascenseur, une publicité. La tâche est ardue. Je m’implique parce qu’il faut que quelqu’un le fasse, il faut développer un sens de la communauté.
L.P. Vous êtes dédié à la chanson dans tous ses aspects.
G.V. Ça me permet de demeurer vivant, de rester jeune. Quand je suis arrivé dans le milieu musical j’ai été inclus et je me suis trouvé chanceux. C’est un monde magique, il faut sortir du rêve, de l’image du métier. En fait, c’est du gros travail, il y a surtout des artisans qui le font sans cesse. J’ai atteint le succès que je visais. Ça prend des années pour savoir si une chanson a du sens, pour faire la différence entre l’intention et l’impact. Un créateur doit faire un tour de 360 degrés avec le temps. J’ai changé ma façon d’écrire des chansons au cours des ans. De plus, il faut jongler avec l’infrastructure du business, se préoccuper que les producteurs trouvent leur compte, trouver le dénominateur commun, faire une œuvre dont on est fier et qui est commerciale. Finalement, je n’ai jamais manqué mon coup. J’aime ce que je fais, je suis plus en confiance. J’accepte que ce n’est pas tout le monde qui va connecter avec ce que je fais. Encore aujourd’hui, je ne prends pas pour acquis que les gens s’intéressent à moi.
L.P. Mais ceux qui s’intéressent à vous le font avec dévotion; ainsi, c’est un de vos fans qui a créé votre site Internet http://www.gilesvaliquette.com/.
G.V. Oui, Richard Lupien a imaginé un site pour me rendre hommage, j’y ai collaboré et finalement c’est devenu mon site officiel. Il fait un travail extraordinaire, il y a des archives et toutes les paroles de mes chansons apparaissent sur le site en version dactylographiée.
L. P. Vous achevez le livre en mentionnant : «À suivre».
G.V. On est toujours dans le milieu de quelque chose. On arrive à la dernière chanson, à la dernière page, avec l’impression que ça continue. C’est propre à la vie, on demeurera toujours un ouvrage inachevé.
Créateur, Gilles Valiquette se révèle aussi un professeur, un collaborateur, un réalisateur, un défenseur, et un père qui parle avec fierté de son fils Louis devenu un musicien cumulant les tournées en Amérique et en Europe.
La gentillesse, la ferveur et l’amabilité de Gilles Valiquette s’ajoutent à ses treize albums, ses cinq Certificats d’honneur BMI/SDE et ses cinq prix SOCAN. Rencontrer un artiste tel que lui n’est guère fréquent, découvrir un tel être humain, non plus; il communique une sagesse précieuse, une proposition fascinante, une invitation irrésistible : «nous sommes bien chanceux d’être vivants. À chacun de nous d’utiliser ce privilège pour tenter d’améliorer un peu les choses pendant notre séjour sur terre. Pour ceux qui suivront…» (p.155).
Gilles Valiquette Histoires de chansons.VLB éditeur. Préface de Jacques Michel. 2008. 496 pages. Textes et photos couleur.